Kashima no tachi : une présentation en deux parties signée Michel GERARD (Partie 1/2)

 Le Kashima no tachi

(télécharger le pdf : HEIHO ET KEN JUTSU aikichti)

Je suis récemment tombé sur un post publié sur Facebook relatif au kenjutsu. Dans le fil de mes précédentes publications sur Aiki Ch’ti (n° 179 : L’Aïkido ; Un système éducatif ou une valorisation de techniques de défense ? – n°189 : L’Aïkido est un Budo),  j’ai pensé intéressant vous de le communiquer sans commentaires particuliers.

J’utiliserai toutefois cette occasion pour échanger avec vous sur le kenjutsu « Kashima no Tachi » de plus en plus pratiqué au sein de notre fédération.

Dans ce premier article, j’évoquerai deux motifs qui ont prévalu à mon choix de pratiquer le kenjutsu.

Dans un second à venir avec le prochain Aiki ch’ti, je vous présenterai l’école de kenjutsu, la Kashima no tachi : son historique et son mode de transmission.

« La voie de la paix.

Heiho : “Méthode (Ho) du guerrier (Hei)” était le nom donné par Ito Ittosai Kagehisa (1560-1653) pour son Itto-ryu Ken-jutsu.

 Il soulignait, par cette appellation, une conception tout à fait neuve dans la technique du combat au sabre : l’entraînement doit avoir pour objectif l’élévation spirituelle plus que l’acquisition de techniques proprement dites. Sans mental fort et en dehors de l’attitude spirituelle “juste”, celui qui pratique l’art du sabre n’arrivera qu’à se détruire lui-même. Cette attitude doit être calme, pure et sincère (Makoto). Elle seule permet d’utiliser à son profit le mouvement de l’adversaire (Katsujin-no-ken). Heiho refère donc à un comportement purement défensif, dans lequel il n’y a aucune agressivité (On peut noter que les caractères japonais pour Hei-ho sont lus “méthode du guerrier”, les mêmes idéogrammes se lisent en chinois “Voie de la paix”).

 Ainsi défini, ce nouvel objectif de l’art du sabre sera visé à travers l’enseignement de tous les experts (Kenshi) du sabre de la période Edo (1603-1868).

C’est pourquoi Ito Ittosai n’aimait guère l’appellation Ken-jutsu pour son enseignement, qu’il jugeait trop limitée et trop fruste. Il lui préférait celle de Heiho car, disait-il, : ‘’Ken-jutsu est l’art de tuer tandis que Heiho est l’art de (se) protéger ‘’.

Même si le résultat final peut être le même, la différence est fondamentale dans l’attitude et l’esprit de la technique. Rien ne s’opposait à vaincre un adversaire en le tuant, mais le niveau le plus élevé dans la connaissance de Itto-ryu s’exprimait par la volonté de maintenir le sabre dans son fourreau le plus longtemps possible et donc d’éviter la confrontation par le seul avantage psychologique avec lequel il est possible d’empêcher un agresseur potentiel de passer à l’acte.»

Auteur du post inconnu mais information vérifiée.

 La pratique des armes est-elle nécessaire en Aïkido ?

Pour toute question controversée, il n’existe pas de bonne ou de mauvaise réponse… Pas de position vraie ou fausse : seulement une appréciation du préférable qui est propre à chacun d’entre nous.

Cela ne signifie pas, pour autant, que tous les raisonnements se valent. Ils peuvent être plus ou moins solides, selon qu’ils s’appuient exclusivement sur des arguments rigoureux ou qu’ils intègrent, au contraire, des éléments contestables ; Sur un sujet controversé, ce qui est condamnable, ce n’est pas la position que nous tenons, mais la manière que nous avons de l’argumenter.

Il y a des contre

… Avec pour argument principal le fait qu’au Honbu dojo la pratique du kenjutsu n’est pas enseigné.

Mais remettons-nous dans le contexte de la création de l’Aïkido. Après la capitulation du Japon, le gouvernement provisoire des forces américaines interdisait formellement la pratique de tous les arts martiaux. A leurs yeux, ces disciplines représentaient une force qui pouvait faire renaître l’esprit guerrier japonais et constituaient des occasions de rassemblement pour des gens cherchant à continuer la lutte : Les disciplines les plus visées furent celles de la pratique des armes

La pratique du sabre dojo (qu’O Sensei pratiquait à Iwama) fut donc évitée au Honbu.

Il y a des pour…

… Si l’on considère que ce qui rend l’Aïkido unique parmi les disciplines à mains nues est la gestion d’un ma-aï (appréciation de la distance et du timing qui inclue également la capacité d’évaluer instantanément le niveau et le degré de la menace dans la situation), le développement d’une mobilité constante et l’emploi de la non-résistance, on comprend l’intérêt d’étudier l’art du sabre, tel qu’il est lié (originellement ?) à cette discipline.

En outre, le concept de « ri-aï »[i] invite à diversifier ses pratiques (Le caractère ‘ri’ signifie ‘la raison d’être’ d’une chose. ‘Aï’ est le aï d’Aïkido et comprend l’idée d’unité). L’idée exprimée par la notion de ‘ri-aï’ sous-tend donc que les principes fondamentaux restent les mêmes que l’on travaille à mains nues ou avec une arme (ken, jo, tanto… stylo Bic, etc.).

Dans un mouvement d’Aïkido, le mouvement du corps fait appel à trois dimensions physiques : 

  1. a)  le mouvement des pieds – ashi sabaki;
  2. b)  le dé-placement du corps par rapport à l’attaquant – taï sabaki;
  3. c)  la façon d’utiliser les mains – te sabaki.

La pratique parallèle du ken à l’aïkido propose ainsi de diversifier ses études des techniques, en tenant compte de la spécificité de ces trois dimensions dans les constructions afin d’appréhender leurs similitudes et leurs différences pour, progressivement, correctement employer le sabre et conscientiser son aïkido. 

Toutefois l’exercice du kenjutsu n’est pas indispensable pour la pratique et la maîtrise de l’Aïkido à mains nues. De plus, le ken demande une longue étude spécifique pour qu’on puisse lui accorder la place qu’il mérite.

Ces conceptions divergentes peuvent ne pas s’opposer si on les inscrit dans un projet personnel et une recherche du Ri-aï.

 « Nous ne désirons pas une chose parce que nous la jugeons bonne,
mais nous la jugeons bonne parce que nous la désirons »

(Spinoza).

Pourquoi donc pratiquer le kenjutsu ?

Ne vous attendez pas ici à une réponse technique, je n’en ai pas la compétence. Aussi veuillez m’excuser de faire référence à deux motifs qui ont présidé à mon choix de pratiquer la kashima no tachi.

Un choix qui s’inscrit dans un contexte et dans une expérience personnelle de sensations émotionnelles et physiques difficiles à faire partager et à expliquer avec des mots sinon que dans la pratique. Essayons toutefois.

J’ai débuté l’Aïkido en 1990, âgé alors de 40 ans.

Quelques années plus tard, il m’est apparu que, tôt ou tard, mes capacités physiques me contraindraient, hélas, à abandonner la pratique de l’Aïkido ou du moins à le pratiquer d’une façon qui me satisferait plus et qui pourrait gêner le travail de mon partenaire.

En 2005, l’opportunité de m’initier au kenjutsu Kashima no tachi m’a été donnée.

Séduits par ce budo, quelques pratiquants d’Aïkido de l’ASPTT Lille Métropole ont créé, en 2007, une sous-section de kenjutsu à l’ASPTT, qui est a été ensuite à l’origine de la création d‘une association internationale (International Shiseikan Budo Association) dont nous sommes toujours membre fondateur.

Cette association de dojo européens nous permet de bénéficier de l’enseignement des maitres japonais du Shiseikan (honbu dojo de la kashima no tachi) et de participer aux séminaires européens comme aux formations au Shiseikan.

Moins physique, la pratique de la kashima no tachi me permettrait de poursuivre l’étude du budo qui m’apportait tant de choses.

Toutefois, ne nous trompons pas !

L’étude du ken jutsu, si elle est moins prégnante physiquement par l’absence de chutes, reste très exigeante ; Pratiquer le kenjutsu que pour s’épargner une fatigue physique serait une énorme erreur. Les positions basses sur les appuis, le relâchement nécessaire du haut du corps et des bras mettent fortement à contribution les muscles des jambes.

De plus, le travail de Ken Jutsu est très dynamique, il oblige à renforcer sa concentration (zanshin), sa détermination ainsi que la prise de conscience du danger, la gestion des distances et du timing, l’appréciation du risque (ma-aï) et sollicite une fulgurance dans l’exercice de ses techniques.

L’absence de contact physique direct avec le partenaire constitue un autre point qui m’a attiré vers la pratique du kenjutsu.

La kashima no tachi utilise un média : le bokuto ou le shinaï. Elle crée une situation où les rapports de temps, de vision, et de placement prédominent, une situation où la vigilance et l’urgence sont accrues, une situation où puissance et poids du partenaire ne sont plus un handicap.

La suppression de cette variante liée à la stature du partenaire me donne le moyen de me concentrer sur ce qui me fait tant défaut dans la pratique de l’Aïkido : la diminution de la tension éprouvée devant un partenaire physiquement plus imposant que moi qui facilite le relâchement et l’utilisation coordonnée du corps (zentai) nécessaires à l’exercice de l’aïkido et du kenjutsu.

Voilà pour ce qui est du contexte et de mon intérêt qui m’ont porté vers la pratique du Kashima no tachi avec Benoit Mabire sensei tout en continuant à pratiquer l’aïkido avec Bruno Zanotti shihan.

Pour ce qui sont des autres motifs, je me réfugierai derrière Montaigne qui, évoquant son amitié avec Etienne de la Boétie, disait :

« Parce que c’était lui ; parce que c’était moi ».

 Michel GERARD

NOTE :

Bien qu’il existe un enseignement de Kenjutsu “traditionnel” au Japon, celui-ci est très peu répandu en France et notre fédération ne l’envisage que sous l’angle d’apports utiles à la pratique de l’Aïkido. Sa pratique reste pour l’instant cantonnée à certains stages privés et n’est pas vraiment organisée même si on peut constater qu’elle se développe de plus en plus au sein des techniciens haut-gradés qui suivent l’enseignement de Christian TISSIER Shihan.

A ma connaissance, 3 Dojo dans le Nord enseignent et pratiquent régulièrement le Kashima no tachi :

  • Loos : depuis 2007 au Makoto Enbujo avec Benoit Mabire, 5ème dan aïkido, menkyo shoden kashima no tachi (affilié à ISBA) ;
  • Calais : depuis 2018, au Kaigan no Maru avec Olivier Bury, 5ème dan aïkido (affilié à ISBA depuis 2018) ;
  • Wambrechies : depuis 2020, au Sei Ryu Kan avec Laurent Huyghe, 6ème dan aikikaï.

À suivre…

[i] Ri ai : voir l’article de B. Palmier shihan http://www.aikido-palmier.com/?Le-Ri-ai-une-approche-systemique