La Kashima no tachi : historique et transmission (partie 2) – Michel Gérard

La kashima no tachi

Historique et Transmission

 

Cet article fait suite au précédent, annoncé dans le précèdent aïkich’ti.

Lire la 1ère partie : https://aikido-nordpasdecalais.fr/blog/2023/09/05/kashima-no-tachi-une-presentation-en-deux-parties-signee-michel-gerard/

J’y exposais la philosophie fondamentale de la pratique du sabre par une citation de Itosai et loin de toutes considérations techniques, les motifs qui m’avait conduit à pratiquer le kenjutsu en parallèle de la pratique de l’aïkido.

Dans cette deuxième partie, j’exposerai l’historique de l’école Kashima no tachi et son mode d’enseignement et d’apprentissage.

 

Historique de la Kashima no tachi :

 L’histoire des ryūha[i] de sabre se lit dans des documents souvent hagiographiques où il n’est pas aisé d’y distinguer ce qui est de la légende, de l’apologie des ‘kenshin’ (experts reconnus dans la voie du sabre) et des faits historiques. Ce qui suit peut donc être partiel voire partial, sujet à critiques par des détracteurs. Mais nous ne sommes pas des historiens… et ce qui suit reste suffisamment lapidaire pour s’inscrire dans une certaine véracité.

Du 7ème  siècle au 16ème  siècle, le temple de Kashima (comme celui de Katori) était reconnu comme un centre important d’apprentissage du budo grâce au style de bujutsu enseigné par les prêtres sous le nom de Kashima no Tachi. De nombreux samurai y venaient s’y instruire dans les disciplines militaires pour servir leur daimyô (seigneurs locaux), qui cherchaient à maintenir voire à agrandir leur territoire.

C’est au cours du 16ème  siècle que le Kashima Shinryū[ii]  prend forme et développe les techniques du Kashima no Tachi à partir de l’expérience de 3 guerriers de renom – KUNII Kagetsu ,  MATSUMOTO Bizen no kami (gardien héréditaire du sanctuaire Kashima) et Kamiizumi Ise-no-Kami Fujiwara – et autour du principe d’« ichi no tachi » (proche de la notion de Irimi).

A la fin de la période Sengoku, dite des ‘provinces en guerre’, en 1603, l’unification et ma pacification du Japon sous la gouvernance des Tokugawa (jusqu’en 1868) marque l’arrivée d’un nouvel ordre politique, social et économique pour les samurai. En une dizaine d’année, ces guerriers féodaux devinrent des fonctionnaires administratifs pour leur daimyô.

Ce nouveau monde ne convenait pas à la maison Kunii qui se retira dans ses terres, tout en continuant à pratiquer et enseigner le kashima shinryū.

A cet égard, le Kashima shinryū s’est éloigné du modèle suivi par d’autres ryūha plus connues (Yagyū Shinkage-ryū, Ono-ha Itto-ryū …). Alors que ces écoles se sont perpétuées grâce à des enseignants professionnels exerçant dans des écoles commerciales permettant aux samurai de transmettre leur art mais aussi de subsister, le kashima shinryū s’est perpétuée dans une relative obscurité comme tradition familiale de la maison Kunii.

 Ce n’est au début du 20ème que le kashima shinryū revient à la lumière sous l’impulsion de Kunii Zen’ya (1827 – 1966), surnommé le «Musashi des temps modernes»[iii].

En 1965, Inaba Minoru, élève de Yamaguchi Seigo shihan, suit parallèlement l’enseignement Kunii  Zen’ya et reçoit à la mort de celui-ci un menkyo kaiden[iv] des mains de son épouse. Inaba sensei décide alors de mener ses propres recherches sur le budo et développe progressivement un enseignement plus influencé par l’aïkido qu’il nomme ‘Kashima No Tachi’, reprenant ainsi le nom originel du ryū. En 1973, il devient instructeur de budo au Shiseikan, dont il sera deux fois directeur (1993-2009), et y enseigne l’aïkido et le kenjutsu selon les préceptes du kashima shinryu.

C’est sous son mandat que s’ouvre l’enseignement du Kashima no Tachi aux occidentaux[v].

Notons que Christian Tissier Shihan a pratiqué le kashima shinryrū avec Inaba shihan. Quoiqu’il ne l’enseigne pas publiquement, le travail au sabre (aïkiken) qu’il propose, si je ne me trompe pas dans sa lecture, semble se fonder sur les kata de la kashima shinryū dont il a conservé les formes adaptées à son enseignement de l’Aïkido. (Voir le DVD : Mes choix pour l’étude du ken).

Transmission

 L’apprentissage du Kashima no tachi se réalise par la pratique d’une centaine de kata dont on trouvera la liste dans la section suivante.

L’exercice de ces kata se réalise dans un travail avec un partenaire, dont le plus expérimenté, lors des 4ère passes est l’Uchitachi (uke). Son rôle est de proposer un engagement adapté  qui oblige son Shitachi (Tori) a travailler à son plus haut niveau.

Si la pratique des kata est un moyen de systématiser et d’apprendre la forme, de réguler la formation, sa véritable fonction va au-delà. Les kata sont essentiellement des exemples dans lesquels sont saisis intuitivement la connaissance des principes qui gèrent l’engagement : gestion des angles d’attaques, distance de frappes appropriées, posture mentale, timing, gestion de la puissance…

Certains pratiquants pourraient regretter le « sparring », arguant que le kata ne peut développer le sérieux, le courage, l’agressivité, la vitesse, la puissance de frappe, l’efficacité. Mais à mon avis, le sparring détourne le pratiquant de la recherche de la maitrise du kata et surtout des principes essentiels. Il encourage ses pratiquants à développer leur propre mouvement et technique avant d’avoir intégré les principes de l’engagement au sabre. En outre, cette forme d’enseignement et d’apprentissage obligerait, à cause de la dangerosité des armes utilisées, à éliminer des kata et à porter des protections (comme au kendo).

Pour ces partisans, le Kashima no tachi inclut dans sa nomenclature le jiyu-tachiai (jiyu waza en aïkido) dès que les kata sont bien maitrisés. Au pire, ils leur reste le choix de pratiquer le Kendo.

Que l’on veuille bien garder que, si la connaissance et l’expérience se transmettent, la compétence, elle,  ne peut s’acquérir que dans une pratique et une prise de conscience réflexive des préceptes qui fondent les kata. Reproduire le kata de façon mécanique ne serait que perte de temps.

Nomenclature

Les kata, base de l’enseignement et de l’apprentissage du ken jutsu de l’école Kashima no Tachi, se répartissent en 5 séries élémentaires :

  • Kihon dachi: mise en place des principes. Cette série, comme l’indique son nom, est la plus fondamentale. Pratiquée avec un bokuto, elle fait l’objet d’un travail à chaque cours.
  • Ura dachi: Travail à une distance de 6 pas avec un fukuroshinaï (sabre composé de lames de bambou gainées de cuir). Cette série permet de travailler la distance d’engagement et le timing (ma-aï) et conduit les pratiquants à prendre conscience que les techniques de Kashima ne se construisent pas en « réaction » mais dans la prise d’initiative de l’un des partenaires.
  • Aishin kumi tachi: Travail réalisé avec un fukuroshinaï. Uchitachi (uke) et shitachi (tori) initient la même attaque. L’un ou l’autre tente de prendre l’ascendant.
  • Jissen kumi tachi : Travail à une distance d’un pas dans lequel shitachi initie le mouvement. Uchitachi tente de reprendre l’ascendant et oblige ainsi shitachi à exécuter la technique au plus haut niveau qu’il lui est possible.
  • Kassen dachi : Travail avec un fukuroshinaï à une distance de 6 pas. Ces techniques utilisent des principes mécaniques corporels pour déséquilibrer l’adversaire.

Cet apprentissage s’enrichit par la suite de 2 autres séries de 6 kata, qui allient techniques de ken et taijutsu. Ces séries enseignent aux pratiquants comment évoluer vers le contrôle de son partenaire lors d’une position bloquée en tachi musubi :

  • Tsuka Seriai (6 kata)
  • Taochi uchi (6 kata)

Enfin, le Batto jutsu (forme de Iaido – dégainer, contrôler ou couper, rengainer), comprend le travail de 32 katas sans ou avec partenaire.

D’autres kata ne sont enseignés qu’aux pratiquants plus expérimentés.

Précisons, que le kashima no tachi, outre le travail au ken comprends l’étude de l’Aïkido et le maniement d’autres armes (jo, naginata…) permettant de mettre en pratique dans des situations différentes les principes découverts par la pratique du kenjutsu.

 Erratum : Lors de mon précédent article, j’ai indiqué que le club « kaigan no maru » de Calais s’était affilié à ISBA en 2018 : C’est une erreur. Le club de Calais s’était affilié en 2016. 2018 est l’année durant laquelle le club a organisé et accueilli, en collaboration avec l’International Shiseikan Budo Association, le séminaire international d’été de Kashima no tachi, animé par les instructeurs du Shiseikan.
Merci à Olivier et Yannick de bien vouloir m’excuser de cette erreur.

i] Ryuha : on a traduit généralement « ryuha » par le terme « école ». Toutefois, il faut plutôt comprendre ce terme natif comme « branche ».

[ii] Ne pas confondre avec le kashima shintô-ryû, pratiqué par nos amis licenciés de l’Aïkibudo, qui a pris naissance au temple de Katori. Le créateur de cette branche est reconnu comme étant Tsukahara Bokuden, élève de Kamiizumi Ise-no-Kami Fujiwara, l’un des trois fondateurs du kashima shinryü.

[iii] Une anecdote : Après la défaite du Japon en 1945, les forces d’occupation américaine édictèrent une mesure interdisant tout art martial. Le kendo notamment, ayant une image forte de militarisme, ne paraissait pas pouvoir être réhabilité. Face aux demandes des kendoka, le commandement américain au Japon leur demanda de prouver que le kendo n’avait pas de relation directe avec le militarisme.
       Au bout de nombreux débats, les notables japonais et le commandement américain proposèrent d’organiser un duel entre un expert de l’armée américaine et un représentant du budo japonais.
      Toutefois, afin de prouver l’esprit noble du budo, dont le caractère bu est symbolisé par « stopper la lance », l’expert japonais se devait de vaincre un adversaire sans le blesser en étant muni d’un sabre en bois contre un adversaire muni d’une arme réelle.
Sasamori Junzo, l’héritier de l’école Ono-ha ittoryu et également conseiller politique, proposa alors de solliciter Kunii Zen’ya, 18ème hériter de Kashima Shinryu.
      Même si les membres du kendo rechignaient à faire appel à lui, il restait le meilleur candidat possible.
A l’annonce des conditions du combat, Kunii Zen’ya accepta avec joie un duel qui semble impossible pour tout le monde.Kunii Zen’ya, 52 ans, armé d’un sabre en bois fit face à son opposant américain, trentenaire à la stature bien plus impressionnante, armé d’une baïonnette tranchante.
      L’affrontement s’est joué en quelques secondes ; l’instructeur américain s’avoua vaincu, à terre avec l’épée en bois sur sa nuque. Par ce combat, le budo japonais démontra une philosophie profonde qui ne vise pas qu’à tuer.
      Quelques temps après, la pratique du kendo fut à nouveau autorisé.

[iv] Le Menkyo kaiden  est le plus haut niveau dans l’autorisation d’enseigner la technique et l’esprit d’un budo, remise par le maître d’une école à son ou ses élèves les plus proches et avancés.

[v] En 2003, introduit au Shiseikan par l’ambassadeur polonais au japon, Benoit Mabire sensei  en commence l’apprentissage et reçoit en 2007, un menkyo shoden d’Inaba sensei.

Michel GERARD